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TitreLa Poetique d’Aristote, contenant les Regles les plus exactes pour juger du Poëme Heroïque, et des Pieces de Theatre, la Tragedie et la Comedie, traduite en françois avec des remarques critiques sur tout l\'ouvrage
AuteursDacier, André
Date de rédaction
Date de publication originale1692
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(ch. IV), p. 30-31; 37-38

Il y a deux causes principales, et toutes deux fort naturelles, qui semblent avoir produit la poësie ; la premiere est l’imitation, qualité née avec les hommes, car ils different des autres animaux, en ce qu’ils sont tous très-portez à l’imitation, que par son moyen ils apprennent les premiers élemens des sciences, et que toutes les imitations leur donnent un singulier plaisir ; comme on peut le reconnoître tous les jours par ce qui nous arrive, quand nous regardons les ouvrages des peintres ; certains originaux, comme de bêtes affreuses, ou d’hommes morts ou mourants, que nous n’ozerions voir dans la nature, ou que nous ne verrions qu’avec chagrin ou avec frayeur, nous les voyons agreablement dans la peinture, et plus ils sont bien imitez, plus nous les regardons avec plaisir. La raison de cela est que les philosophes ne sont pas les seuls qui aiment à apprendre, quoy qu’ils n’apprennent pas tous également. Ce qui fait qu’ils voyent la peinture avec tant de satisfaction, c’est qu’en la regardant ils peuvent raisonner et apprendre. Par exemple, en voyant le portrait d’un homme de leur connoissance, ils disent, c’est un tel. Et si c’est le portrait d’un homme qu’ils n’ayent jamais vû, le plaisir qu’ils ont alors ne vient pas de la beauté de l’imitation, mais de celle de l’art, ou du mélange et de la vivacité des couleurs, ou de quelqu’autre chose qui attache leurs yeux et leur esprit.

Remarques, p. 37-38 :

5. C’est que les philosophes ne sont pas les seuls qui aiment à apprendre, et que cette passion est également naturelle à tous les autres hommes. Les hommes étant douez de raison, et aimant naturellement les arts, prenent un singulier plaisir à voir tout ce qui est fait par art et par raison. L’un et l’autre se trouvent dans l’imitation, voilà pourquoy elle a un si grand avantage sur la verité même, qui paroît simple, ordinaire et commune, au lieu que dans une exacte et heureuse imitation, on trouve avec la verité, la subtilité et l’adresse, et c’est ce qui donne lieu à l’esprit de faire des reflexions et des raisonnemens, de maniere qu’il apprend toûjours quelque chose de nouveau, comme Aristote s’explique luy-même dans le chapitre XI, du premier livre de sa Rhetorique, où il fait voir que le plaisir qu’on a en voyant une belle imitation, ne vient pas de la beauté de l’original qu’on a imité, mais de ce que l’esprit trouve par là le moyen de raisonner et de s’instruire. Aussi les Philosophes Cyrenaiques tiroient-ils de cette verité une preuve contre les Epicuriens, pour les convaincre que le plaisir qu’on prend aux spectacles, ne vient ny ne la veüe ni de l’ouïe, mais de l’entendement seul qui connoît et qui juge, et cela est très vray.

6. Quoyqu’ils n’apprenent pas tous également. Je crois que c’est le sens de ces paroles, qui sont asssez difficiles à entendre, ἀλλ’ἐπὶ βραχὺ κοινονοῦσιν αὐτοῖς : quoyqu’ils y participent peu. C’est-à-dire, quoyqu’ils ne soient pas tous également propres à apprendre, car les uns apprenent mieux que les autres, à proportion de l’esprit qu’ils ont. La volonté est égale à tous, mais la faculté ne l’est pas.

7. Le plaisir qu’ils ont, ne vient pas de la beauté de l’imitation, mais de celle de l’art ou du mélange, et de la vivacité des couleurs, etc. Car on ne peut pas juger de la beauté d’une imitation, quand on ne connoît pas l’original qui est imité. Mais alors,comme dit fort bien Aristote, le plaisir qu’on a, vient, ou de la beauté du tableau, ou de la vivacité et du mélange des coulerus, ou du choix de l’action, ou de l’attitude des personnages et de beaucoup d’autres choses, qui en attachant les yeux, exercent l’esprit et l’instruisent en le divertissant.

Dans :Cadavres et bêtes sauvages, ou le plaisir de la représentation(Lien)

, « Quelques remarques qui ont été oubliées » , p. 498

Il n’y a rien de si laid, ni rien de si horrible, que nous ne voyions avec plaisir dans la peinture. Ce n’est pas que la chose soit belle en elle-même, car ce qui est laid ne peut être beau, mais c’est qu’il n’y a rien de si agréable que l’imitation. Voilà pourquoy dans tous les temps les poëtes ont souvent choisi ce qu’il y a de plus horrible pour le sujet de leurs tableaux. Nicomachus avoit representé Médée tuant ses enfants, et Theon avoit peint le meurtre de Clytemnestre par Oreste. Nous avons des tableaux de peintres modernes sur des sujets aussi affreux ; on les voit avec un très grand plaisir, et en les regardant on ne loüe pas l’action qu’ils représentent, mais l’art de celuy qui a sçu les imiter si heureusement. Il en est de même de la poësie, on se plaît à y voir la peinture des choses qu’on n’oseroit regarder dans la nature ; si un Philoctete se présentoit devant nous en l’état où Sophocle le représente, nous tâcherions de l’éviter, mais l’imitation qu’il en fait nous attire et nous charme.

Dans :Cadavres et bêtes sauvages, ou le plaisir de la représentation(Lien)

, « Des sujets de l’imitation » (numéro chapitre second) , p. 16-22

Comme tous ceux qui imitent, imitent des actions, et qu’il est impossible que ces actions ne soient ou bonnes ou mauvaises, car les mœurs ne peuvent être distinguées que par ces deux qualitez, et les hommes ne different entre eux que par la vertu ou par le vice, il s’ensuit necessairement de là que les poëtes dans leur imitation font les hommes ou meilleurs par rapport à nous, ou plus méchans, ou semblables, tout de même que les peintres. En effet Polygnotus peignoit les hommes meilleurs ; Pauson les peignoit plus méchans, et Denys les faisoit semblables. Et il est évident que ces differences ne peuvent pas manquer de se trouver dans chacun des imitations dont on vient de parler qui sont toutes differentes par les differens sujets qu’elles representent.

2. Les mêmes differences se trouvent aussi dans la danse, dans les airs de flute, dans les pieces de lyre et de tous les autres instumens, et dans tous les ouvrages en prose ou en vers. Par exemple, Homere a fait les hommes meilleurs, Cleophon les a fait tels qu’ils sont, et Egemon de Thasos qui a été l’inventeur des parodies, et Nicochares auteur de la Deliade les ont fait plus méchans. Il en est de même des poëtes qui ont composé des dithyrambes et des nomes. C’est ainsi que Timothée et que Philoxene ont imité les Perses et les Cyclopes dans les pieces qui portent ce nom. Et c’est cela même qui constitue la difference qui est entre la Tragedie et la Comedie, car la premiere represente les hommes meilleurs et l’autre les represente plus méchans.

Remarques sur le chapitre second.

1. Comme tous ceux qui imitent, imitent des actions. Aristote pose cela comme un principe incontestable, il l’est en effet, car il n’y a que les actions qui puissent être imitées.

2. Car les mœurs ne peuvent être distinguées que par ces deux qualitez. Ce philosophe s’exprime d\'une maniere encore plus forte dans l’original, car les mœurs, dit-il, ne se trouvent que dans ceux qui sont tels. C’est-à-dire, qu’à proprement parler, il n’y a des mœurs, que dans ceux qui sont bons ou méchans. S’il y avoit des hommes qui tinssent le milieu, on ne pourroit pas dire qu’ils eussent des mœurs, au moins leurs mœurs ne seroient pas sensibles, et par consequent elles ne pourroient pas faire le sujet d’une imitation ; mais ce milieu ne se trouve pas dans la nature, et la veritable philosophie prouve que tout cela est ou vice ou vertu.

3. Ou meilleurs par rapport à nous, ou plus méchans, ou semblables. Il est impossible d’imaginer une qualité au-delà de ces trois. Si les poëtes se tiennent dans l’exacte imitation des siecles dont ils parlent, ils font les hommes semblables, c’est-à-dire tels qu’ils sont en effet ; s’ils ajoûtent quelque chose à leur vertu, ils les font meilleurs, c’est-à-dire, plus grands, plus vertueux, plus heroïques ; et s’ils en retranchent quelque chose, ou qu’ils aggravent leurs défauts, ils les font plus mechans. Comme la seconde imitation est capable de donner une noble émulation aux hommes, et de les porter à la vertu, les Thebains avoient fait une loy, qui ordonnoit aux peintres et aux poëtes, de faire toûjours les hommes meilleurs, et qui condamnoit à une grosse amende ceux qui les feroient plus méchans.

4. Polygnotus peignoit les hommes meilleurs. Elien confirme ce jugement d’Aristote : car il dit, que Polygnotus peignoit toûjours de grands sujets, et qu’il visoit à la perfection ; et que Denys l’imitoit en tout hors dans la grandeur, πλὴν τῆς μεγέθης. Polygnotus étoit de l’Isle de Tasos, et Denys étoit de Colophone, ils vivoient l’un et l’autre avant la XC. Olympiade, du temps de Xerxes, de Sophocle et de Socrate. Polygnotus avoit peint dans le portique appelé Poicile, la bataille de Marathon, gagnée par Miltiade, sur les Medes et sur les Perses.

5. Pauson les peignoit plus méchans. C’est peut-être le même que Pline appelle Pausias, il étoit de Sicyone, et il fut le premier qui peignit les lambris lacunaria. Elien l’appelle Pauson, comme Aristote, et il raconte qu’un homme luy ayant demandé un tableau où un cheval se roulât sur le sable, il luy fit un cheval qui couroit à bride abatuë, et comme celuy pour qui étoit le tableau, refusoit de le prendre sur ce qu’il avoit demandé un cheval qui se roulât, et non pas un cheval qui courût, Pauson luy dit : Renversez la toile, et ce cheval qui court, se roulera. Les Anciens comparoient les discours de Socrate à ce tableau de Pauson, parce que pour y trouver ce que l’on cherche, il ne faut pas les prendre, comme il les donne, il faut les tourner, les renverser. El. Liv. XIV. Chap. XV.s

6. Les mêmes differences se trouvent aussi dans la danse, dans les airs de flute, dans les pieces de lyre, etc.  Car les danseurs et les joueurs d’instrumens peuvent representer les hommes ou meilleurs, ou plus mechans, ou semblables, n’y ayant rien au-delà de ces trois qualitez, qui puisse faire le sujet de leur imitation.

7. Dans tous les ouvrages en prose, ou en vers. Le grec dit, dans les discours, περὶ τοὶς λόγοις, et il fait allusion aux dialogues de Socrate, dont il a été déjà parlé, Et dans la Psilometrie, c’est-à-dire, dans les ouvrages qui sont simplement en vers, et où il n’y a ny danse ny chant, comme dans le poëme épique. Les interpretes continuent icy la faute qu’ils avoient faite auparavant.

8. Par exemple, Homere a fait les hommes meilleurs. Car il n’y a point d’homme si brave qu’Achille, si prudent qu’Ulysse, etc. Quelqu’un a fort bien dit, qu’Homere a fait des hommes des dieux, et des dieux des hommes.

9. Cleophon les a faits tels qu’ils sont. Cleophon poëte athenien. Il avoit fait plusieurs tragedies, dont Suidas nous a conservé les noms, comme l’Acteon, l’Achille, le Telephus, les Bacchantes, etc. Mais ce passage d’Aristote semble prouver, qu’il avoit fait aussi quelque poëme epique.

10. Hegemon de Thasos qui a été l’inventeur des parodies. Athenée parle de cet Hegemon, et il cite même quelques endroits de ses parodies ; mais il nie qu’il ayt été le premier inventeur de cette sorte de poëme, dont il attribuë l’invention à Hipponax, plus ancien qu’Hegemon. Peut-être que le terme d’Aristote, ποιήσας πρῶτος, qui a fait le premier des parodies, ne signifie pas qu’il les ayt inventées ; mais qu’il y a mieux réussi. En effet on trouve qu’Hegemon fut le premier qui entra en lice pour les parodies dans les jeux publics à Athenes, et qui remporta le prix. Epicharmus, Cratinus, et Hernippus poëtes de la vieille Comedie, firent aussi des parodies avec succès, mais rien n’approchoit des parodies d’Hegemon, car outre qu’il rencontroit heureusement, il étoit excellent acteur, et il divertissoit si fort les Atheniens, qu’un jour qu’il leur recitoit sa Gigantomachie, ils en étoient si charmez, et ils rioient de si bon cœur, qu’ayant receu la nouvelle de la défaite de leur armée en Sicile, ils ne pouvoient encore se résoudre à quitter ; et si Hegemon n’avoit cessé, ils se seroient tenus là jusqu’à la fin, autant par le plaisir qu’ils prenoient à l’entendre, que par la honte de témoigner leur douleur devant les etrangers, qui de toutes les villes voisines, étoient accourus à ce spectacle. Après Hegemon parurent Eubœus de Paros, et Bœotus, qui surpasserent tout ce qui avoit été avant eux. Le premier, qui vivoit du temps de Philippe, fit des parodies contre les Atheniens, et il y en avoit encore quatre livres d’enters dans le second siecle.

11. Parodies. Sorte de poëme, où l’on détourne en un sens ridicule les vers d’un autre poëte, en y faisant queque petit changement. Voilà ce que c’étoit que la parodie dans son origine. Les auteurs de ces poëmes, faisoient les hommes plus méchans, comme Aristote le dit icy d’Hegemon. Car c’étoit l’unique but de la parodie. On a fait ensuite des parodies serieuses ; mais je ne croy pas qu’elles ayent été connües des Anciens. Au moins n’en ai-je point vû d’exemple.

12. Nicochares auteur de la Deliade. Nicochares poëte comique athenien. Il vivoit du temps d’Aristophane, qui se moqua de luy dans quelqu’une de ses pieces. Il avoir fait plusieurs comedies, car les Anciens citent de luy, l’Amymone, le Pelos, la Galatée, le mariage d’Hercule, l’Hercule Chorague. Les Cretois, les Lacedemoniens, les Lemnienes, les Centaures. La Deliade qu’Aristote cite icy, paroît avoir été un poëme burlesque, où ce poëte tournoit en ridicule les mœurs des Deliens.

13. Il en est de même des poëtes qui ont composé des dithyrambes et des nomes. Puisque les dithyrambes, étoient des hymnes à l’honneur de Bacchus, et les nomes à l’honneur d’Apollon, comment étoit-il possible qu’un poëte y representât les hommes meilleurs, ou plus méchans ? Cette difficulté, qui paroît d’abord considerable, s’évanoüit, dès qu’on sçait que dans ces hymnes, on chantoit les actions de ceux qu’on vouloit ou loüer, ou blâmer.

14. C’est ainsi que Timothée, et que Philoxene ont imité les Perses et les Cyclopes. Timothée de Milet, grand poëte. Il avoit fait dix-huit livres de nomes, beaucoup de dithyrambes, et plusieurs autres ouvrages. Il ajoûta deux cordes à la lyre, la dixième et l’onzième, et adoucit l’ancienne musique. Il vivoit du temps d’Euripide. Dans quelqu’un de ses nomes, il avoit chanté la victoire des Atheniens sur les Perses, et pour relever d’avantage cette victoire, il avoit representé les Perses beaucoup plus vaillans qu’ils n’étoient, voilà pourquoy Aristote, dit que dans les nomes, on peut faire les hommes meilleurs. Les Anciens citent aussi le Cyclope de Timothée.

15. Philoxene. C’est le celebre poëte dithyrambique qui vivoit du temps de Platon et de Denys le tyran, contre lequel il fit son Cyclope, où sous les noms de Polypheme et de Galatée, il décrivoit les amours de ce prince. Athenée cite un endroit de ce Cyclope, et il trouve mauvais que Polypheme loüe la beauté de Galatée sans jamais parler de ses yeux, qui est pourtant la partie que les amans loüent le plus volontiers et qu’ils ne peuvent se lasser de loüer. Il dit que c’est une loüange aveugle. Je croy que Polypheme ne dit rien des yeux de Galatée, parce qu’il trouvoit sans doute que c’étoit un défaut d’avoir deux yeux, et qu’il étoit mieux de n’en avoir qu’un, comme on n’a qu’une bouche. Au reste ce passage d’Aristote prouve que ce poëme de Philoxene étoit une piece dithyrambique et non pas une comedie.

16. Et c’est cela même qui constitue la difference, qui est entre la Tragedie et la Comedie. Puisqu’il vient presentement à la Comedie et à la Tragedie, il me semble que cela prouve assez clairement qu’on s’est trompé, quand on a pris pour des pièces de theatre, les Perses et les Cyclopes, dontil vient de parler.

17. Car la première represente les hommes meilleurs. Car la Tragedie est une imitation des actions des plus grands personnages, qu’elle represente encore plus grands qu’ils n’étoient, en les faisant pourtant semblables, comme cela sera expliqué ailleurs.

18. Et l’autre plus méchants. Cela ne convient qu’à la vieille et à la moyenne Comedie, car la nouvelle tâchoit de les rendre semblables. Menandre et Terence ont peint les hommes au naturel. Nôtre Comedie a pris en beaucoup de choses l’air des deux premières.

Dans :Polygnote, Dionysos et Pauson : portraits pires, semblables, meilleurs(Lien)

(ch. XVI), p. 231; 252-253

Puisque la Tragedie est une imitation de ce qu’il y a de plus excellent parmi les hommes, nous devons imiter l’exemple des bons peintres, qui en donnant à chacun sa veritable forme, et en les faisant semblables, les représentent toujours plus beaux. Il faut tout de même qu’un poëte qui veut imiter un homme colère et emporté, ou quelqu’autre caractère semblable, se remette bien plus devant les yeux ce que la colère doit faire vray-semblablement, que ce qu’elle a fait, et c’est ainsi qu’Homere et Agathon ont formé le caractère d’Achille.

Remarques, p. 252-253 :

23. Puisque la Tragedie est une imitation de ce qu’il y a de plus excellent parmi les hommes, nous devons imiter l’exemple des bons peintres, qui en donnant à chacun sa veritable forme, et en les faisant semblables, les représentent toujours plus beaux. Voici un précepte très important pour bien former ses caractères ; il faut qu’un poëte imite les peintres, qui en faisant le portrait d’une personne, conservent les véritables traits, les traits qu’on peut appeler caractéristiques, et sans lesquels il n’y auroit aucune ressemblance entre la copie et l’original, mais après cela ils ne s’assujettissent à leur objet en aucune manière. Ils cherchent ce qui peut rendre ce portrait plus beau. Ils donnent de l’embonpoint ; ils embellissent le teint, ils font le portrait plus noble ; et enfin ils n’oublient rien de tout ce qui peut augmenter la beauté de la personne, sans alterer ses veritables traits, et sans rien changer aux proportions de sa taille et de son visage. Les poëtes tragiques doivent faire de même, et avec d’autant plus de raison, qu’imitant les personnages les plus illustres, comme les princes et les rois, ils les peuvent faire d’autant plus beaux, qu’ils sont plus élevez au-dessus des autres hommes ; car ces caractères sont susceptibles de toute la beauté qu’on leur veut donner, pourvu qu’elle convienne avec les véritables traits et qu’elle ne détruise pas la ressemblance. Aristote va nous apprendre de quelle manière cela se fait.

24. Il faut tout de même qu’un poète qui veut imiter un homme colère et emporté, ou quelque autre caractère semblable, se remette bien plus devant les yeux ce que la colère doit être vraisemblablement, que ce qu’elle a fait. […] Le voicy mot-à-mot[[6:Dacier confronte les interprétations ; après avoir réfuté celle de Corneille, il envisage celle d’Hesychius.]], Ainsi le poëte qui imite des hommes colères et emportés, ou tels autres caractères, doit plûtôt se proposer une idée de vray-semblance, qu’une idée de dureté. C’est-à-dire, qu’il doit plûtôt consulter ce que la colère peut ou doit faire vray-semblablement, que ce qu’elle a fait. Il doit plutôt travailler d’après la nature, qui est le veritable original, que s’amuser après un particulier, qui n’est qu’une copie imparfaite et confuse, ou même vicieuse, ce que le poëte doit éviter. Après avoir expliqué la lettre du texte, il faut achever d’en donner le veritable sens, en faisant l’application de la comparaison, dont Aristote s’est servi. Un poète veut imiter un homme colère, injuste, emporté, il est obligé de conserver les veritables traits de cet homme, sa colère, son injustice, son emportement ; mais en les conservant, il a la même liberté que les peintres, il peut les embellir et les flater ; pour cet effet il n’a garde d’attacher ses yeux sur un particulier, qui ayt été colère, mais il consultera la nature pour emprunter d’elle les couleurs qui pourront rendre son portrait plus beau, sans corrompre la ressemblance. Un homme colère peut être en même temps un lâche, un perfide, un traître. Si le poëte joint ces qualitez à son caractère, il enlaidira son portrait, au lieu de l’embellir, et péchera contre ce précepte d’Aristote. Il cherchera donc d’autres couleurs, et la nature, qui est le veritable original et le premier modèle du beau, ne manquera pas de luy en fournir, elle lui fera voir que la vaillance convient admirablement au fond de son caractère, et par consequent il donnera à son héros une valeur d’un tres grand éclat. C’est ainsi qu’Homere en a usé pour Achille, il a gardé dans ce caractère tout ce que la fable y mettoit indispensablement, mais en ce qu’elle lui a laissé de libre, il en a usé tellement à l’avantage de son héros, et l’a si fort embelli, qu’il a presque fait disparoître ses grands vices par l’éclat d’une vaillance miraculeuse. Sophocle se conduit de même dans son Edipe. Il veut peindre un homme emporté, violent, temeraire ; en gardant toûjours tout ce que ce caractère a de nécessaire et de propre au sujet, il le releve par tous les embellissemens dont il est capable ; il ne le fait ni un lâche, ni un homme très vertueux, cela corromproit la ressemblance, mais il le fait vaillant et un très bon roi qui ne neglige rien pour le salut de son peuple. Voilà comment les poëtes se mettent bien plus devant les yeux ce que leurs caractères peuvent et doivent faire vray-semblablement, que ce qu’ils ont fait. Et voilà le sens de ce beau précepte, qu’Horace a tâché d’exprimer par ces deux vers dans sa Poëtique,

Respicere exemplar morum vitæ morumque jubebo

Doctum imitatorem, et veras hinc ducere voces.

Je conseilleray toujours à un poète, qui veut être bon imitateur, d’avoir incessamment devant les yeux le modèle général de la vie et des mœurs, je veux dire la nature, et de tirer d’après elle de veritables traits. On peut voir là les remarques.

Dans :Le portrait ressemblant et plus beau(Lien)

, p. 91

Parrhasius, Polygnote, et Aristide le Thebain, ont été de tous les peintres de l’Antiquité, ceux qui se sont le plus attachez à exprimer les mœurs. Le premier avoit peint le peuple athénien, et avoit si bien réussi dans le dessein qu’il avoit eu, de représenter ce peuple tel qu’il étoit, qu’on voyoit en même temps toutes les passions contraires, on le reconnoissoit inconstant et opiniâtre ; colère et doux ; clement et cruel ; fier et humble ; timide et brutal. [[7: voir le reste dans zeuxis et polygnote]]

Dans :Parrhasios, Le Peuple d’Athènes(Lien)

(ch. VI), p. 72-73; 90-91

Ajoûtez à cette verité qu’il n’y sçauroit avoir de tragedie sans action, et qu’il y en peut avoir sans mœurs. En effet il n’y a point de mœurs dans les pieces de la pluspart des poëtes modernes. On peut dire même en general, que l’on trouve entre presque tous nos poëtes, la même difference qui est entre les peintres Zeuxis et Polygnote. Ce dernier exprimoit parfaitement les mœurs, et on n’en trouve aucun indice dans les ouvrages de l’autre.

Remarques, p. 90-91 :

37. On peut dire même en general, que l’on trouve entre presque tous nos poëtes, la même difference qui est entre les peintres Zeuxis et Polygnote. La poësie et la peinture sont si semblables, que tous les vices et toutes les vertus qui sont dans l’une, peuvent aussi se trouver dans l’autre.

38. Ce dernier exprimoit parfaitement les mœurs. Toutes les figures des tableaux de Polygnote, étoient si animées, que le spectateur n’avoit aucune peine, à connoître l’esprit et les mœurs des personnages qu’elles représentoient. Les passions y étoient admirablement exprimées. Aussi Aristote dit dans le livre VIII de ses Politiques, que les ouvrages de ce peintre devoient être plus exposez aux yeux des jeunes gens, que ceux de Pauson, qui, comme Zeuxis, n’exprimoit point du tout les mœurs dans sa peinture. Parrhasius, Polygnote, et Aristide le Thebain, ont été de tous les peintres de l’Antiquité, ceux qui se sont le plus attachez à exprimer les mœurs. Le premier avoit peint le peuple athénien, et avoit si bien réussi dans le dessein qu’il avoit eu, de représenter ce peuple tel qu’il étoit, qu’on voyoit en même temps toutes les passions contraires, on le reconnoissoit inconstant et opiniâtre ; colère et doux ; clement et cruel ; fier et humble ; timide et brutal.

39. Et l’on n’en trouve aucun indice dans les ouvrages de l’autre. Tous les ouvrages de Zeuxis étoient sans mœurs, parce qu’il visait au prodigieux et au merveilleux, comme nous le verrons dans le penultième chapitre. Pline affirme pourtant qu’il avoit fait une Pénélope, où il sembloit avoir peint les mœurs, fecit Penelopen in qua pinxisse mores videtur. Mais cette remarque de Pline, confirme plûtôt le reproche qu’Aristote fait à Zeuxis, qu’elle ne le détruit.

Dans :Zeuxis et Polygnote : action et caractères(Lien)

, p. 287-288

En mas estimo un descendimiento de la Cruz que pintó Antonio de Corregio en Parma, donde nuestra Señora se muestra dolorosísima con suma modestia, dando mucha expresion de sentimiento á S. Juan y á otras figuras; con todo tuvo bastante caudal para henchir omnem imaginem tristitiae en la Magdalena, quae plus ardebat caeteris, la qual figura ha sido celebrada, de suerte, que ella sola anda retratada en innuberables quadros de por sí.

n. 12: Celebrale mucho Plinio y otros autores, y en especial Quintiliano para declarar la variedad de los generos y formas de decir que han tenido los oradores; porque como á Salustio le faltáron palabras para significar dignamente las cosas de Cartago, y lo disimuló con este color retorico de decir, porqe de Cartago mas vale callar que decir poco. Asi á Timantes faltándole afectos de tristeza para el padre, lo disimuló con cubrirle el rostro, porque habiendo pintado en la inmolacion y sacrificio de Ifigenia triste á Calcante, y añadiendo mas tristes á Ulises y á Menelao, consumidos ya todos los afectos, no hallando mas suma tristeza, que pudiese hacer el arte para poder significar dignamente el rostro triste del padre, le cubrio su cabeza y rostro, dando al ánimo de cada uno el pensar sobre el grado de su tristeza.

Dans :Timanthe, Le Sacrifice d’Iphigénie et Le Cyclope (Lien)